Ça y est, elle est arrivée !
Je parle de la “cave” (prononcer “kève”) du LIMSI, le Laboratoire d’Informatique pour la Mécanique et les Sciences de l’Ingénieur, situé sur le plateau d’Orsay…
Une “cave” est un dispositif de Réalité Virtuelle immersive, comportant des écrans occupant une part plus ou moins importante du champ de vision de l’utilisateur, sur laquelle se trouve projetée une scène tridimensionnelle conformément au point de vue virtuel dudit utilisateur.
La “cave” en question, pilotée par l’équipe de recherche en Réalité Virtuelle et Augmentée “VENISE“, est en fait connue sous le nom de “système EVE” (Evolutive Virtual Environment) – ou Ève pour les intimes ;-). Elle est l’une des plus perfectionnées, et après des années de planification et des mois d’attente et de reports, elle est enfin terminée ! Il reste quelques réglages à faire, mais j’ai pu l’expérimenter aujourd’hui même, et je vous la présente en avant-première mondiale ! Vive ET d’Orion point com !
Comme vous pouvez le voir, cette “cave” comporte trois écrans se joignant à angles droits. Les deux écrans verticaux sont suffisamment grands pour couvrir le champ de vision, et, fait remarquable, le sol est formé d’une dalle sur laquelle se projettent également les éléments de la scène correspondants, ce qui permet de voir les objets sur toutes les coutures, y compris par au-dessus. L’expérience d’immersion est remarquable !
Le dispositif est même capable de restituer les points de vue en 3D de deux utilisateurs simultanées, partageant ainsi l’expérience virtuelle d’une seule et même scène, en immersion, grâce à une technique unique au monde ! Dans la scène ci-dessous, Jean-Marc Vézien et moi-même voyons une seule et même sphère verte (et une seule et même sphère rouge), exactement à la même position dans l’environnement virtuel dans lequel nous sommes immergés. Le point de vue extérieur (celui de la photo !) ne peut saisir la cohérence de la scène, ni le relief. Mais pour nous deux, équipés de lunettes à obturation synchrone (avec les projecteurs) et à double polarisation, la perception induite fait parfaitement sens, et la tridimensionnalité de la scène apparaît de manière objective et inter-objective…
Ce qui m’a valu le plaisir – et le vertige ! – de faire cette expérience en avant-première, c’est simplement que je me trouve être l’instigateur d’un projet de Réalité Virtuelle (RV) immersive, qui va tenter de reproduire l’espace-temps quadridimensionnel de la Relativité d’Einstein – notre monde, donc –, et de rendre accessible les divers effets relativistes (contraction des longueurs, dilatation des temps, propagation non instantanée de la lumière, relativité de la simultanéité, etc.), non plus par la pensée ou l’abstraction des équations, mais directement par les sens !
En RV, rien n’empêche de s’approcher de la vitesse de la lumière, et d’explorer le tissu spatio-temporel jusqu’à sa lisière.
En se laissant imprégner par les manifestations contre-intuitives de cette réalité qui est pourtant la nôtre, mais qu’aucune conscience humaine n’a encore pu appréhender sensiblement, faute d’avoir été confrontée à des vitesses relatives suffisantes, le cerveau sera peut-être capable de capter la cohérence sous-jacente qui est celle du monde quadri-dimensionnel (espace et temps), et de voir, pour la première fois, non plus à 2D – comme sur une image ou dans une perception du monde avec un œil fermé –, non plus à 3D – grâce à la vision binoculaire, merveille de l’évolution biologique –, mais… à 4D !
Le cerveau, toujours si prompt à ordonner les informations les plus diverses auxquelles il se trouve soumis – avec l’intelligence de milliards d’années de raffinement et de perfectionnement ! – saura-t-il percevoir que les effets relativistes associés aux changements de référentiel (aux vitesses relatives entre différents corps et observateurs) ne sont que la traduction tridimensionnelle de rotations effectuées en réalité dans l’espace-temps à quatre dimensions ? Acquerra-t-il l’intuition de cette réalité sous-jacente, à 4D, d’une manière inattendue pour la conscience ordinaire ?
Peut-être…
En attendant l’implémentation complète de ce projet qui ne fait que démarrer, et l’accroissement des qualités immersives des dispositifs de RV à venir, la petite équipe que nous formons avec les spécialistes de la RV du LIMSI et les chercheuses en didactique de la Physique du laboratoire André Revuz de l’Université Paris 7, entreprend de mettre l’outil en développement au service de la transmission des connaissances. Un de nos objectifs majeurs est de faciliter l’apprentissage de la théorie de la Relativité, en mettant en place des scénarios de Réalité Virtuelle relativiste (de “Relativité Virtuelle”, si l’on veut) capables, grâce à l’expérimentation directe, de réduire les obstacles à la compréhension, identifiés également par notre équipe grâce à une analyse parallèle des nœuds conceptuels ou cognitifs associés à notre représentation intuitive ou spontanée du monde.
Ce vaste programme est loin d’être achevé : il commence à peine ! Cela fait en réalité 12 ou 13 ans que je le porte, plus ou moins secrètement, mais l’impulsion nécessaire à sa mise en œuvre effective a été donnée l’an dernier, lorsque le projet s’est vu attribuer un financement pour 3 ans par l’ANR (Agence Nationale pour la Recherche).
Aujourd’hui, après cette première visite de la “cave” qui vient juste d’être achevée, je saisis l’occasion d’en parler un peu sur ce blog.
Le projet, dans son ensemble, a pour nom “EVEILS” : Espaces Virtuels pour l’Éducation et l’ILlustration Scientifique.
Comme j’avais réservé le nom de domaine il y a des années ( 😉 ), j’ai pu rediriger le lien vers le site du projet ANR mis en place au LIMSI: http://www.eveils.fr/
Et maintenant, espérons que le projet prendra son envol… et nous aussi !
ET