Premier croissant

Alors, vous l’avez vue ?
Non ? Oh, quel dommage !

Ce soir… la Lune… en son premier croissant !

À peine surlignée d’un trait d’or, parfait cil angélique habillant l’horizon au sud-ouest…

C’était comme un berceau que la Lune se faisait à elle-même. Son disque sombre, à peine rehaussé d’un clair de terre finement argenté, figurait l’ombre reposant sur la lumière.

C’est donc le premier croissant. Hier la Lune était absente : je ne l’avais pas remarqué ! Merveille astronomique que ce déploiement gigantesque d’une montre céleste appuyée sur le vide… J’ignore pourquoi nous avons abandonné le mois lunaire dans nos calendriers, et l’évidence de ce cycle de la lumière qui croît, atteint son apogée, décline et reparaît, régénérée, renouvelée.

J’ai toujours aimé célébrer les commencements. Celui-ci n’est-il pas comme une aube élargie, déployé sur une autre échelle. C’est comme si le monde nous aidait à commencer aussi quelque chose en nous-mêmes, à explorer quelque respiration nouvelle. Comme si, la Lune croissant, tous les processus ascendants étaient stimulés autour d’elle. Pouvons-nous prendre conscience, en contemplant ce sillon de lumière incurvé sur le ciel, du cycle complet qui s’engage aujourd’hui une nouvelle fois ? De la moisson qu’on y pourrait semer. Finalement, je crois que j’aimerais bien revenir à un calendrier lunaire. Ne peut-on pas voter pour ça ? 😉 Qui voudra le proposer ? « Le parti de la lune croissante »… 😀 « L’union démocratique pour l’oraison lunaire »…

Bon, en attendant, rien ne nous empêche de cueillir en chaque Nouvelle Lune l’appel lancé à l’Homme pour une ère à venir. Croître ! Un beau programme, non ?

Aurions-nous oublié cette racine commune ?
Ce « croissant », ne nous appelle-t-il pas à « croître », justement ? Alors croissons !

Tiens, c’est drôle, en principe, on ne devrait pas appeler « croissant de Lune » ses dernières phases avant la Nouvelle Lune, puisqu’elles sont alors décroissantes ! …

(J’essaierai de m’en souvenir : « Oh, le beau décroissant de Lune » ! …)

Savez-vous que la forme générale qu’on appelle « croissant » et ces petites brioches délicieusement arrondies tirent en effet leur nom du verbe « croître », par référence à la Lune ?

Ah qu’elles sont merveilleuses ces pâtisseries légères qui s’effilochent en serpentin ! Et tellement meilleures encore lorsqu’elles sont déjà au beurre et qu’on rajoute un peu de beurre salé aux gros grains de sel de mer !

Un peu de Lune blonde nourrissant nos dimanches…

Lunaires pensées, et bon mois !
ET

Réel, virtuel… question de choix !

Acte 1 : Orsay, lac du mail, tombée de la nuit…

Comme la lumière du crépuscule se reflétait à sa surface impassible, l’étang du mail s’évanouit soudain pour n’être plus qu’un ciel ouvert, peuplé des arbres inversés qui le bordaient l’instant d’avant. Cet espace nouveau, aérien, infini comme l’azur sombre qui l’avait ouvert, où s’étendait-il ? Sur quoi avait-il été conquis ?

Pas sur l’étang lui-même : l’eau n’avait pas disparu ! Ce ne pouvait être que dans l’esprit qui l’observait. Virtuel, alors ? D’accord. Mais qu’est-ce que l’espace réel ? Un espace qui a de l’étendue ? Mais qu’est-ce que l’étendue ? Si c’est ce qui distingue « ici » et « là », et donc « ceci » et « cela », l’azur qui venait de remplacer l’étang du mail (c’est son vrai nom !) séparait lui aussi cet arbre-ci et ce tronc-là. Virtuel, quand même ? Alors, qu’est-ce que l’espace réel ? Un espace où je peux me déplacer ? Mais le ciel « réel », au-dessus du lac, puis-je m’y déplacer ? Non, certes. Mais l’oiseau, lui, le pourrait…

Et en voici un, justement ! Un merle noir — limpidement noir ! — superbe sur le fond d’azur crépusculaire, lumineusement sombre, dans la pureté majestueuse de l’hiver, comme s’il découpait l’indigo profond au contour de ses ailes, pour n’y laisser que le néant de la lumière, l’infini du regard, ininterrompu. Il plane, se dirigeant vers cet arbre, là-bas. Il explore l’espace : oui, cet espace est réel !

Mais baissant aussitôt les yeux vers le ciel inversé de l’étang, ne vois-je pas maintenant, aussi nettement, aussi intensément ce même merle achever son vol et se poser là, sur cet arbre invité par les eaux ? L’oiseau s’y déplace ! C’est évident : cet espace est réel ! Sauf que… c’est de ce côté-ci que je suis, moi : l’espace réel, c’est le mien !

Acte 2 : Dix minutes plus tard, dans le RER me ramenant à Paris, la nuit est tombée et comme je lève les yeux du livre qui m’absorbe, j’aperçois mon visage reflété par la vitre. Hmm, cet espace qui revient… Mais cette fois, plus moyen d’éluder la question ! Dans l’espace derrière la vitre, je peux bouger : Je m’avance, recule, pivote, incline la tête. Mais le lac du mail semblait formel 😉 : « l’espace réel, c’est le mien ! ». Celui où je suis…

Je ? Suis ?
Mais comment sais-je que je suis de ce côté-ci ? D’où me vient ce sentiment d’être « ici » et non « là ». Pourrais-je « localiser » ma conscience là-bas, derrière la vitre ? Dans l’autre tête ? Je sens que je le pourrais, mais… je n’y arrive pas complètement. Aaargh ! Presque. Je pense trop !

OK, OK, c’est donc dans cet espace-ci que « je suis » vraiment. L’autre n’est qu’une image. Un reflet. D’ailleurs, dans celui-ci, je peux non seulement incliner la tête, mais aussi étendre la main et sentir le livre, tourner ses pages ! Sauf que… aie aie aie… l’autre aussi, là, il tourne les pages de l’autre livre ! Et voilà qu’en me concentrant davantage, je m’habitue à coordonner mes gestes à l’envers, et… ça y est, c’est sûr : c’est de l’autre côté que ma main vient de tourner cette page ! Le réel, ça peut donc aussi bien être l’autre ! Si j’investis ma conscience dans cet ailleurs, c’est là que je suis finalement. C’est là que… je suis en train de sentir le livre résister à la pression de mes doigts !

Il suffit que je m’identifie à cette image reflétée pour faire de cet espace l’espace réel. Rien ne peut distinguer les deux. Physiquement non plus ! On dira : « mais si, l’autre, la tête reflétée, elle n’est qu’une image, une superficie, on ne peut pas l’ouvrir et découvrir un cerveau à l’intérieur ! » Ah bon ? Mais c’est pourtant ce que je viens de faire. L’image de ma main aussi n’était qu’une superficie, n’avait qu’une face. Et pourtant, je l’ai tournée, et j’ai vu qu’elle avait aussi un dos ! Vous dites que c’est parce que je l’ai tournée dans l’espace réel. Mais si nous relocalisons notre conscience de l’autre côté, c’est cette main-ci qui n’a qu’une face, et si le dos apparaît maintenant, c’est parce qu’elle a été tournée de l’autre côté du miroir ! Le chirurgien, opérant devant le miroir, découvrira tout aussi bien le cerveau dans le reflet. Et toutes les expériences physiques que vous voudrez bien faire donneront exactement les mêmes résultats : l’autre monde est mesurable ! Concret ! Les curseurs, quels qu’ils soient, pointeront sur les mêmes marques des mêmes appareils de mesure. Les deux mondes sont indistinguables !

Et alors ? Bah, je ne sais pas. Mais ne se crée-t-on pas des limites artificiellement étroites en localisant la conscience dans le corps « réel », quand rien, absolument rien ne nous impose de choisir que c’est dans ce monde-ci plutôt que dans celui-là que l’impulsion mentale est donnée aux muscles pour tourner et retourner indistinctement cette main-ci et cette main-là ? Réel, virtuel… question de choix !

Mais la question demeure : qu’est-ce qui me donne l’impression que je suis localisé « là » ? L’interaction avec les autres éléments, êtres, objets ? Mais nous pourrions tous être « ailleurs » ! À moins que ce ne soit l’inverse : ce n’est pas que nous soyons « là », c’est que « là », c’est précisément « où nous sommes ». Par habitude, nous sommes « bêtement » là. Peut-on briser cette habitude, et ouvrir les espaces ?

L’oiseau qui s’est posé sur cette branche noire au beau milieu du lac du mail a disparu dans les ombres du soir. Il a dû trouver la sortie…

Acte 3 : J’ai bien fait d’aller travailler 😉

Il se passe décidément de ces choses, dans le RER… En tout cas, on s’instruit. Bref, aujourd’hui, j’ai bien fait d’aller travailler ! Enfin… ça me rappelle ceci, que j’ai lu justement hier :

Méthode ASSIMIL, espagnol, leçon 9 :

Un recién casado vuelve sonriente del trabajo :
— ¡Da gusto verte volver contento del trabajo! Te gusta mucho tu trabajo, ¿verdad?
— ¡Mi amor, por favor, no confundas la ida con la vuelta!

A bientôt,
ET

Bonjour le monde !

Voici donc le premier message de ce blog.

Pour l’heure, à qui parlé-je ?

Étrange configuration, où sur un blog parfaitement inconnu — inexistant même, jusqu’à ce que ces premiers mots paraissent — je lance quelques phrases incertaines au cœur d’un monde qui m’accueille sans le savoir !

L’enfant qui naît lance un cri de mystère, sans savoir même où il le lance, ni pour qui, ni pourquoi. À l’adresse de ce monde qu’il ignore tout autant qu’il l’ignore, que peut-il dire ? Alors soudain il comprend, et se tait. Plus tard, bien plus tard, le mystère soufflera peut-être à nouveau une paix magistrale sur ses tempes limpides, venant comme attiser son âme. Quelle eau s’en épandra ?

Me voici donc présent, du bout d’une plume hésitante, en ce monde délocalisé ou métaspatial qu’on dit virtuel. Ce site est-il un vaisseau ? Un corps ? A-t-il une vocation ? Vivra-t-il ?

Il est trop tôt pour s’interroger. Le mystère l’accompagne : c’est son propre mystère. Je ne souhaite pas la bienvenue à ses visiteurs, car ce sont eux, en réalité, qui m’accueillent ! Merci à vous tous, donc. Merci aux anges, aussi, qui nous ont devancé en ces contrées numériques et abstraites. Nous avançons à pas fébriles. Puissions-nous ne pas déranger leur vol et leur vertige, et partager peut-être un peu de leur ivresse.

Puisque donc en ce monde nous nous éveillons, gouttons-en le parfum, apprenons-en l’azur, honorons ses almées, et… mettons-nous en route !

Bien à vous tous,
au jour où la Toile nous aura rassemblés,

ET