Je tente volontairement de tenir les commentaires politiques (sauf en un sens plus général) à l’écart de ce blog, préférant concentrer mes interventions dans ce domaine sur d’autres sites, forums et blogs. Il faut dire que tout cela, vu d’Orion… 😉
Mais l’actualité est pressante, et on entend tellement de choses autour de ce fameux CPE et des manifestations qui l’accompagnent… Juste un mot, alors.
Sur les forums des Humains Associés, j’ai trouvé un lien vers un dossier intéressant réalisé par l’Express (Les racines de la révolte), dans lequel on trouve notamment ceci :
« Il y a de la dignité blessée dans la réaction des jeunes », observe le sociologue du travail Jean-Pierre Le Goff. À propos des diplômés sous-employés, François Dubet parle même de « noblesse déchue ». Les enfants nés dans les années 1980 ont été élevés dans l’idée que la jeunesse était le moteur de la société, du changement, de l’Histoire. « Ils ont été encensés avec une démagogie extrême, soutient Le Goff. On les a traités comme des citoyens à part entière bien avant leurs 18 ans. C’étaient les rois. » On leur a demandé d’être créatifs, autonomes, responsables, bref d’être les « auteurs d’eux-mêmes », comme dit Paul Yonnet. De quoi fabriquer des fils et des filles aimants pour les baby-boomers. Mais aussi – c’est le phénomène Tanguy – dépendants pour un bon bout de temps.
Un peu plus loin :
Les enfants du désir, si choyés, si aimés, prennent le réel en pleine figure. C’est un choc auquel ils étaient peu préparés. […] Cette peur irrigue toute une jeunesse victimisée qui a le blues, quelles que soient les dissensions de ses membres. Ils étaient des héros. Ils tombent de haut.
Ces analyses me paraissent très justes, et tout autant alarmantes. Il y a une forme de naïveté incroyable chez ces « jeunes », dont on ne peut bien entendu pas les tenir pour responsables, puisqu’ils sortent à peine du fantasme angélique et destructeur de leurs parents.
Dans toutes les discussions et les revendications qui se font jour autour du CPE, on note une forte captivation par une réalité imaginaire, un hypnotisme quasi religieux, dans le sens le plus primitif du terme, mélangeant la terreur d’une part et la fascination pour une construction mentale (une représentation idéalisée du monde) aussi illusoire que romantique d’autre part.
Or la rédemption de la situation présente ne saurait résider dans la consolidation forcenée (voire violente ! ) du fantasme fondateur, qui, fort heureusement en somme, prend l’eau de toute part. On ne peut pas imposer à la réalité un fantasme, ou du moins pas longtemps, et pas sans provoquer de terribles convulsions, notamment chez les plus fragiles (socialement et intellectuellement) et les moins « nantis » (comme on dit).
Comme l’analysent les sociologues, aujourd’hui les jeunes tombent de haut. Et ce qui est plus terrible encore, c’est de voir leurs parents commettre à leurs dépens la même erreur une seconde fois, appuyant dans le sens du maintien du fantasme (qui est en vérité le leur) plutôt que dans l’accompagnement vers la sortie du rêve et l’affrontement de la réalité. Car ce sont bien ces parents (à titre privé comme à titre collectif, par leurs activités dans la société) qui sont responsables pour l’essentiel de l’impréparation à ce monde de la nouvelle génération, ou à l’inverse de l’impréparation du monde aux modes de pensée et de comportement qu’il lui ont inculqués. Las de chanter des berceuses à leurs enfants (trop fatiguant, trop contraignant, trop traditionnel…), ils ont laissé la société leur en chanter. Aujourd’hui, le réveil est brutal. Car tout en répandant le mythe d’un hédonisme individualiste triomphant, ils n’ont pas rendu la société moins violente et moins destructrice, au contraire !
Aujourd’hui, le déni de réalité orchestré par la génération précédente laisse la jeunesse totalement désemparée devant un monde qui s’est par ailleurs considérablement durci. Et l’on peut s’indigner de voir à nouveau cette génération installée, médias en tête, renoncer aux débats de fond et encourager une approche formelle des problèmes actuels (dénonciation des méthodes, exacerbation des rapports de force émotionnels, etc.) plutôt qu’une recherche de voies alternatives concertées.
On a presque le sentiment que ce sont finalement les jeunes, ici, qui seraient spontanément les plus disposés à regarder la réalité en face. Bien obligés : ils y sont immergés corps et âme et la subissent de plein fouet, eux !
Mais la spontanéité ne règne jamais longtemps, hélas !, sur la scène politique et sociale française, où le moindre mouvement d’opinion est guetté par des prédateurs à l’affût trop heureux de trouver enfin du grain à moudre.
Quitte à en dénaturer l’esprit et en compromettre l’issue…
ET