Certains font de la logique le critère absolu de la vérité. D’autres s’en méfient à juste titre : rien ou si peu, dans le comportement des hommes, obéit à la logique, et supposer que les événements se conformeront à ce qu’on peut en attendre « logiquement » est le moyen le plus sûr de se fourvoyer. En fait, compte tenu de ce que l’on peut observer du comportement humain et de l’ensemble des événements afférents à la sphère humaine, il est totalement illogique d’attendre que nos déductions logiques soient génériquement justes.
Pourtant la logique elle-même n’est nullement en cause. Le problème vient toujours des prémisses (des axiomes, diraient les mathématiciens). Toute déduction logique part d’un présupposé – ou d’un ensemble de présupposés –, qui peut être juste… ou non ! S’il est juste, la déduction est correcte. S’il est faux, ou simplement incomplet, la déduction peut être juste ou fausse : c’est imprédictible !
Si les données sont incomplètes et insuffisantes, la logique peut toujours s’appliquer et demeurer valable en elle-même, mais elle ne constitue pas un critère de vérité.
Or la complexité du monde est telle que nous n’avons jamais accès qu’à des données incomplètes, et nous avons donc développé une certaine aptitude à inférer des « vérités probables » ou potentielles, à partir d’informations limitées. Cette aptitude est précieuse et même indispensable, car si nous exigions de disposer de l’ensemble des tenants et des aboutissants pour prendre la moindre décision, effectuer le moindre choix, accomplir la moindre action, nous serions inévitablement et à jamais condamnés à l’inactivité et à l’immobilisme – y compris en pensée !
Les conditions de notre existence impliquent donc que nous travaillions à partir de données incomplètes, et cette nécessité est sans doute l’habitude la plus commune du fonctionnement cognitif humain. Mais il serait pour le moins hasardeux d’imaginer que la nécessité–même de ce fonctionnement nous exonère de plein droit de ses conséquences fâcheuses. Si l’on me donne un objet de 200 kilos à tenir dans mes bras, le fait que je sois obligé de finir par le lâcher n’empêchera pas qu’il tombera bel et bien dès que j’aurai cessé de retenir sa chute !
Il ne s’agit donc de blâmer ni la logique, ni l’incomplétude des prémisses, mais plutôt de mettre fin à la supposition implicite que nous en savons assez sur les conditions d’une expérience pour inférer en toute logique la nécessité de ses résultats.
Car la complexité du monde est également telle que des situations apparemment semblables peuvent être en réalité très différentes du point de vue d’une inférence particulière. Si je lâche finalement cette grosse masse que je tenais dans mes bras, il se peut aussi qu’elle n’atteigne pas le sol – par exemple si elle est en fer et qu’un aimant puissant se trouve disposé sous le sol. « Information incomplète, déduction incertaine. »
Pour parvenir à évoluer dans un environnement inaccessible à la connaissance exhaustive, nous avons l’habitude de travailler à partir de probabilités. Compte tenu des informations que l’on a et de notre expérience, il est fortement probable que telle action produise tel résultat, ou qu’untel se comporte de telle façon – c’est-à-dire à moins que n’intervienne quelque chose d’inattendu et dont je n’ai pas connaissance, ou quelque chose de rare, que je n’ai pas encore rencontré, ou dont l’expérience ne m’est pas familière.
Pour ne pas être trahis, et parfois lourdement affectés par l’inexactitude occasionnelle de ces inférences probables, il convient à la fois d’élargir le champ de nos expériences et d’affiner notre perception des conditions susceptibles d’influer sur les situations (en un mot d’accroître notre connaissance), mais aussi parallèlement de prendre conscience des limitations qui leur sont inhérentes.
L’erreur consiste naturellement, partant de la répétition et de l’usage abusif du raisonnement, à ériger le probable en certain, et l’improbable en impossible. Cette remarque de Sherlock Holmes au cher Docteur Watson, qui venait d’éliminer une à une toutes les possibilités logiques relatives à une mystérieuse affaire, est éloquente : « lorsque tous les possibles ont été réfutés, l’impossible devient probable » !
Logiquement perplexe,
ET
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