Sans doute vous êtes-vous déjà trouvé entre deux miroirs se faisant face – par exemple dans une cabine d’essayage de vêtements, ou en jouant avec les portes doubles ou triples d’un meuble de salle de bain, ou quelque chose de ce genre…
De reflet en reflet, on s’y voit un nombre incalculable de fois, jusqu’à l’infini. C’est vertigineux, fascinant, troublant. Mais très vite, on s’aperçoit qu’en fait on ne parvient pas à voir véritablement un nombre infini d’objet, ou de nous-mêmes [je parlais hier de Narcisse : cela l’eût rendu fou, mais heureusement pour lui, les Galeries Lafayette n’existaient pas encore, ni les clips des années 70, ni les émissions de Maritie et Gilbert Carpentier, si vous voyez ce que je veux dire… ;-)].
Parce que l’infini, ce n’est pas seulement beaucoup, ou inhabituellement beaucoup ! C’est intéressant, d’ailleurs, de comprendre que les adverbes « un peu », « beaucoup » ou « énormément » sont exactement aussi éloignés de l’infini l’un que l’autre, à savoir… infiniment ! Si la « distance » entre 500 et 2000 est 1500, alors la distance entre 3 et l’infini est la même qu’entre 20000 et l’infini, ou entre cent mille milliards de milliards de milliers de centaines et l’infini : c’est l’infini !
Bref, on a beau se contorsionner jusqu’au torticolis pour modifier l’apparence des reflets en cascade qui se répercutent dans les miroirs, il y a toujours cette dérive inexorable vers les bords, ou vers notre propre reflet qui les intercepte et met alors fin au processus de démultiplication. Et puis, la dérive des images reflétées ne s’effectue pas seulement dans une direction ou dans une autre, mais aussi vers des tailles de plus en plus petites. Chaque nouveau reflet est un peu plus petit que le précédent, ce qui n’est pas étonnant, d’ailleurs, puisque c’est le même objet que l’on voit chaque fois un peu plus loin derrière le miroir, dans la profondeur de l’espace des images. Ainsi, même s’il n’y avait pas de dérive latérale, la « fuite » vers le minuscule suffirait à nous empêcher de saisir un nombre infini de reflets.
Comment remédier à tout cela, pour percevoir vraiment l’infini ?
Hmm… Voyons voir…
Puisque les images dérivent, il y aurait bien une solution : augmenter la tailles des miroirs. Mais on aura beau la doubler, la décupler ou la multiplier par mille, on ne fera jamais que doubler, décupler ou multiplier par mille le nombre des images, ce qui nous laissera toujours aussi loin de l’infini ! Une seule solution : disposer de miroirs infinis !
Première moralité : pour accéder à l’infini, il faut… de l’infini !
Mais peut-être pouvons-nous en fait empêcher que les images ne dérivent. Pour cela, il faudrait qu’on soit bien en face d’elles, et non pas légèrement sur le côté. On peut en effet s’amuser, en regardant plus ou moins en biais, à faire fuir plus ou moins vite les reflets vers les bords (ou vers nous-mêmes). Mais pour qu’ils ne fuient plus du tout, il faudrait être vraiment « pile en face » ! Mais alors… on ferait écran à la lumière ! Venant du miroir de devant, elle ne pourrait plus atteindre celui de derrière pour former une nouvelle image, sans nous traverser le corps ! Or nous ne sommes pas transparents… Aargh ! Rien à faire : on ne peut éviter la dérive, et donc la limitation du nombre d’images ! On peut en voir un grand nombre, éventuellement un très très grand nombre, mais ce sera toujours infiniment loin d’un nombre infini !
Deuxième moralité : pour accéder à l’infini, il faut… disparaître soi-même ! (Ou devenir totalement transparent.)
Mais voyons l’autre problème. Comment éviter le rétrécissement progressif des images ? Hmm. Là, c’est fatal, puisque les images se forment toujours plus loin dans l’espace merveilleux d’Alice, la perspective ne peut manquer de les faire rétrécir. Si on veut en voir une infinité, il faut se préparer à observer l’infiniment petit, jusqu’à ce que le mot « petit » n’ait plus même de sens, le point « final » étant en fait de dimension nulle.
Troisième moralité : pour accéder à l’infini, il faut… percevoir le point !
D’accord, oublions ce problème. Disons que les images ne rétrécissent plus (ou qu’on parvient effectivement à voir des points), et qu’on est finalement transparent. Pour éviter la dérive, on tâche de regarder « bien dans l’axe ». Plus on se rapproche de la direction optimale du regard, perpendiculaire aux miroirs, moins la dérive des images vers les bords est rapide, et on en voit alors de plus en plus. Mais nous savons déjà que ce n’est pas suffisant : beaucoup, vraiment beaucoup, énormément, ce n’est pas l’infini. Ce qu’on veut, c’est éviter même la plus infime des dérives. Admettons qu’on y arrive. Mais alors, c’est évident, puisqu’il n’y a pas de dérive (ni de rétrécissement), toutes les images sont bien exactement l’une au-dessus de l’autre. A-t-on a gagné ? Pas du tout ! Car alors, il n’y a plus qu’une image !!! La superposition d’une image sur elle-même, autant de fois qu’on veut, n’altèrera jamais, par définition, l’image initiale…
Quatrième moralité : quand on accède à l’infini… il n’y a plus qu’un !
Mais au fait, on a dit qu’on était transparent, sinon bien sûr on ferait écran à la lumière, et puisqu’on veut être juste en face des miroirs, il n’y aurait plus de reflets multiples du tout. D’accord, mais si on est transparent, alors que voit-on ? Pour voir quelque chose, ne serait-ce que notre propre œil qui regarde bien en face les miroirs, il faut que la lumière s’arrête dessus ! Si elle passe à travers, à l’évidence, on ne peut rien voir ! C’est comme l’air : on ne le voit pas « lui », mais les choses derrières, qui doivent être au moins partiellement opaques ! Finalement, même avec les concessions ci-dessus, si on parvient au bout du compte à voir une infinité de reflets, ce seront les reflets de rien du tout, et on ne verra donc… rien du tout ! (Une infinité de fois, peut-être, mais toujours rien du tout !)
Cinquième moralité : qu’on on accède à l’infini… c’est vide !
Bon, on pourrait s’amuser encore longtemps avec les miroirs et l’infini. Par exemple, puisque la lumière se déplace à une vitesse très grande, mais pas infinie, chaque aller-retour entre les miroirs nécessaire à la formation de l’image suivante prend un peu de temps. Infime, certes, mais si on veut vraiment un nombre infini d’images, il faudra un temps infini !
Mais sans doute vaut-il mieux faire comme les miroirs : au bout d’un moment, arrêter de réfléchir ! 😉
On s’en tiendra donc à nos cinq moralités :
L’infini, c’est l’infini !
L’infini, c’est notre effacement !
L’infini, c’est le point !
L’infini, c’est l’un !
L’infini, c’est le vide !
Et alors ? Où est-ce que je voulais en venir ? Oh, moi, nulle part !
Au départ, je voulais juste vous montrer cette étonnante photo, prise lundi dernier en gare de Groningen :
Et puis, je me suis laissé prendre dans le miroir… 😉
Infiniment vôtre,
ET
Merci pour cette grande et jolie plongee dans mes prises de tete d’enfant. On est donc apparemment bien tous les memes et on ne change pas (moi j’essaie toujours meme si je sais que ca ne marchera jamais).
ça ne vous donne pas le vertige d’écrire de telles notes? Ou alors le monde est pour vous finit,en quelquesorte? Il est finit dans l’infini euh…j’y comprend rien…en tout cas c’est marrant je ressent des choses un peu similaire lorsque j’aperçois cette faille dans le monde concret. Je parle de cette sensation de vide, tout ça…dernièrement je l’ai vécu à l’entrée du musée Grévin, dans les TGV je le remarque souvent, sur le blog de Sacha QS j’ai laissé une web photo avec ce principe (je sais ce n’est pas très fin, excuse moi Sacha) je suis assez sensible à ce genre de bug dans l’espace…mais bon Denis à raison ce sont vraiment des prises de tête enfantines. Même si je dois avouer que je reste intrigué par cette photo (qui elle n’est pas un jeu de mirroirs, encore que)…en tout cas cette note ne laisse pas indifférent, c’est le moins que l’on puisse dire!
mathieu
Et, à une imagination concrétisante dont le plus grand talent est d’assembler des élements connus d’une façon inattendue, succède une imagination créatrice,”une image à la place d’une image”…
Pouvez-vous me dire quel est le nom du phénomène des deux miroirs face à face. Je l’ai appris lorsque j’étais jeune, en cours de philo puis je l’ai oublié et n’arrive plus à le retrouver.
Votre démonstration sur l’infini est trés intéressante!
Merci de votre réponse…
Jean-Michel
Hélas Jean-Michel, je ne saurais vous aider, car j’ignorais même qu’il y avait un nom pour ce phénomène. À moins que vous ne référiez au phénomène de résonance qui intervient dans un autre contexte entre des miroirs formant ce qu’on appelle alors une cavité, pouvant donner lieu à l’apparition d’ondes stationnaires ou de rayonnement cohérent (cf. laser)… En tout cas, si vous trouvez le nom que vous cherchez, merci de l’indiquer ici : je suis intéressé 😉
Un prof de philo m’a répondu cette semaine qu’on pourrait faire un rapprochement avec la “mise en abyme” (avec un y )
Voir sur Google ce terme, trés intéressant!
j ai trouvé ton texte assé démonstratif de la façon par laquelle l humain parvien a revé ou penser l infini;mais ton explication ne montre pa a quell point nous sommes infiniment ridicule dans cet espace qui EST;si les miroir peuvent faire réver l infini ,le seul fait de regarder un caillou revien au meme;un caillou aussi est infini si l on cherche dans l infiniement petit,on ne peut le mesurer avec des chiffres mathématique s il est infini;tout est infini,nous sommes nous ,les petits humains,infinis;ce sont nous les miroirs de l infini , c est nous qui reflétons une vision mathématique de cet infini. nous avons aussi le pouvoir d éxistence , ce que nous voyons ou croyons éxiste.ce que nous ne voyons pas n existe pas.voila pourquoi nos cerveaux mathématique on du mal a croire a l infini.mais que nous soyons éxistant ou non ne changerais rien , tout éxisterait quand meme.depuis toujours et pour toujours.