Les choses qui arrivent ont-elles un sens ?
Il semble que chacun ait sa propre opinion sur ce qui fait sens, ce qui peut faire sens ou ce qui devrait faire sens. De même, certains d’entre nous se posent des questions qui n’émeuvent apparemment pas les autres, et réciproquement.
Qu’est-ce qui fait qu’on se pose telle question plutôt que telle autre ? Que tel sujet nous intéresse au plus haut point, et pas tel autre – quand bien même notre voisin le juge de la plus haute importance ?
On peut probablement dire que les questions qui nous taraudent ou qui nous motivent sont celles qui nous paraissent receler un sens profond, qui promettent de constituer une clé nous permettant d’accéder à une représentation plus globale du monde, par exemple, en mettant en place divers éléments d’un même puzzle, en permettant d’articuler des aspects apparemment distincts de la réalité, mais dont on pressent qu’ils sont liés de manière intime.
Mais il faut bien constater que nos intuitions sur ce qui est crucial et ce qui ne l’est pas sont très diverses. Est-ce à dire que les questions que l’on juge essentielles sont éminemment personnelles ? Sans doute dépendent-elle de notre histoire, de notre représentation actuelle du monde. Il est un fait qu’au cours de notre vie, les questions que nous nous posons évoluent considérablement. Il est d’ailleurs intéressant de noter qu’on abandonne parfois certaines questions qu’on jugeait capitale, alors même qu’aucune réponse ne nous a été apportée ! Simplement, on cesse de penser que telle question est pertinente. Soit on a compris (ou cru comprendre) qu’elle ne l’était pas. Soit on en a identifié de plus profondes encore. Soit on l’a en quelque sorte oublié en chemin, nos centres d’intérêt ayant dérivé, brutalement ou imperceptiblement. Il y aurait sans doute des choses à apprendre sur nous-mêmes en observant l’évolution de nos questions fondamentales…
Mais il y a aussi certaines questions qui s’imposent à un grand nombre de gens avec une force comparable. Là encore, ces questions sont toujours datées, au sens où elles émergent en relation avec des connaissances ou des événements préalables (de manière évidente, elles ne peuvent se poser que lorsque les notions qui permettent de les formuler sont connues et assimilées). Mais certaines questions scientifiques, par exemple, semblent faire pratiquement l’unanimité à une époque donnée, parmi une communauté de chercheurs partageant une culture commune. C’est ainsi que sont régulièrement formulées des questions ou des problèmes clés, dans telle ou telle discipline, et que des expériences ou des missions parfois très coûteuses sont engagées, sur la base d’un consensus quant à l’importance des résultats attendus, au cœur d’un dispositif théorique global.
Est-ce à dire pourtant que ces questions sont vraiment essentielles ? Probablement pas. Il ne saurait y avoir de réelle objectivité dans l’évaluation de la pertinence d’une question, parce que ne pourrait être que relativement à un contexte donné, et que ce contexte est lui-même en parti subjectif, dépendant des intuitions des uns et des autres. Au fond, je pense que chacun sait – ou devrait savoir – que la question qu’il se pose, même avec tant de force, n’est pas vraiment la question fondamentale. Cela peut d’ailleurs l’inciter à garder une oreille attentive et l’esprit ouvert à d’autres questions qui pourraient se présenter, et qui porteraient plus loin, ou bien contourneraient le problème opportunément, ou bien simplement mèneraient tout à fait ailleurs, mais peut-être sur une voie plus riche encore. Il n’est jamais bon de s’accrocher à un problème : la rigidité d’esprit est souvent le principal obstacle au progrès personnel ou collectif.
Plus généralement, il me semble que chaque question cruciale qui émerge (à un moment donné, dans un lieu et dans un contexte donnés, pour une personne ou un groupe de personnes donné) n’est jamais qu’une question intermédiaire, qu’on suppose pouvoir nous conduire à quelque chose de plus fondamental, de plus vaste, de plus essentiel pour nous. Peut-être y a-t-il une question ultime, mais d’une certaine façon nous estimons qu’une telle question n’est pas inaccessible directement, ou bien (ce qui revient au même) que nous ne sommes pas prêts pour l’affronter, ou simplement la comprendre. Alors nous cheminons, et ce chemin nous mène de question cruciale en question cruciale, sur une route souvent sinueuse, et pouvant présenter de nombreux embranchements, tantôt divergents, tantôt convergents.
C’est ainsi qu’à un moment donné sur la planète, les questions que se posent les gens peuvent être très diverses, d’une civilisation à l’autre, d’une culture à l’autre, et même d’une personne à l’autre au sein de la même société. L’un va se demander avec ardeur quel peut bien être le sens de tel rêve qui lui a semblé particulièrement signifiant, quand l’autre considérera que ça n’a pas la moindre importance, que cela relève du hasard, ou d’une contingence insignifiante. Inversement, ce dernier pourra se demander pourquoi telle fleur a treize pétales exactement, alors le premier se contentera parfaitement d’un simple « c’est comme ça »… Un autre se demandera pourquoi le morceau de journal qu’il vient de trouver par terre porte un bout de titre « …TTENTIO… AUX ARR… » et le numéro de page 6, alors que nous sommes le 6 juin, et qu’il y a justement 6 lettres à son nom et à son prénom, et trouvera totalement saugrenu que son voisin s’interroge sur le fait que l’espace ait trois dimensions, plutôt que 7 ou 16.
Il n’est pas rare de voir les uns sourire – voire s’offusquer ! – des questions que se posent les autres.
Ils ont tort, assurément ! Mais, obnubilé par ses propres « questions cruciales », chacun considère que celui qui ne se les pose pas est un ignorant – soit qu’il ne voie pas que ses questions sont en réalité stupides, soit qu’il n’aie pas l’intelligence ou la connaissance lui permettant de voir que celles-ci sont plus profondes que celles-là.
Sans doute est-ce la rançon de la fièvre avec laquelle nous tendons à nous poser les questions que nous jugeons capitales, et sans doute cette fièvre a-t-elle aussi son utilité, puisqu’elle nous enjoint à consacrer une attention et des efforts considérables à son étude, laquelle est bel et bien susceptible de nous faire avancer – et même, dans certains cas (rares, hélas !), de faire avancer de nombreuses personnes. Mais lorsque les tensions montent entre les uns et les autres, voire en nous-mêmes, il est peut-être bon de se souvenir un peu de la relativité foncière des questions particulières, et même des problématiques générales. L’étymologie du verbe « obnubiler » devrait pouvoir nous y aider 😉 Le latin « obnubilare » signifie « recouvrir de nuages » (comme dans nébuleux…) : à coup sûr, de quoi nous empêcher d’y voir clair !
Et si nous avons momentanément des centres d’intérêt divergents, sans doute n’est-il pas inutile non plus de considérer que nous avons probablement tous, au fond, les mêmes interrogations essentielles, ou peut-être – qui sait ? – la même question ultime (s’il y en a une), qui pourrait être quelque chose comme « qui suis-je ? », ou bien « qu’est-ce que la réalité ? », « qu’est-ce que la conscience », ou plus sûrement encore : « que veut dire être ? ».
Ces questions sont sans doute au cœur de la nature humaine, voire de la conscience, au sens le plus général qui soit. Elles me rappellent en tout cas la devise inégalable des Humains Associés : « n’allons pas vers ce qui nous divise, mais vers ce qui nous unit ! »…
ET
la demande de sens n’est exigée que par la pensée conditionnée qui justifie par là son caractère erratique, elle s’occupe d’une certaine manière…avec des choses qu’elle estimera toujours fondamentales, c’est clair.
pour paraphraser, la vie est…sans pourquoi ni comment.