On dit que lorsque la mort s’en vient, qu’elle se fait vraiment imminente et qu’on en perçoit l’inéluctabilité foncière, on l’accepte avec paix et sérénité, peut-être même avec la sorte de bonheur qu’évoque Rimbaud dans Sensation : « Par la Nature, heureux comme avec une femme ». Par la Nature, heureux… Je me disais que ce qui permet à la mort, sinon d’être agréable, du moins d’être ainsi agréée par l’Homme (même le plus agnostique), c’est probablement son implacabilité même. Si elle était soumise à la contingence, si elle dépendait du bon vouloir d’un être, fût-il divin, le scandale qu’elle représente ne pourrait sans doute pas être dissipé. Mais à l’heure de sa venue, et presque par définition, la mort est implacable en ce sens qu’il n’est pas même de son ressort de différer. Elle est, tout simplement — « Par la Nature » — et cette perception la rend en quelque sorte humaine. Peut-être l’abandon qui l’accompagne est-il alors cet abandon spontané au mouvement de la Nature.
Enfin, je ne sais pas…
Je réfléchissais simplement à la situation du monde, à sa complexité, tentant d’atteindre une perspective qui lui donnerait un sens ou qui pourrait faire surgir un peu d’optimisme. Et puis je me suis souvenu de cette réplique de Jean-Pierre Marielle dans un film de Claude Berry (dont j’ai oublié le titre) : « Ton optimisme est plus tragique que mon pessimisme ! ».
C’est vrai. Dans la situation présente, il n’est de place pour l’optimisme, qui ne pourrait trahir qu’un tragique aveuglement ou une dénégation contreproductive de la réalité. Mais paradoxalement la perception de l’inéluctabilité du désastre, sous une forme ou sous une autre (plus sûrement sous l’une et l’autre), fait surgir une forme de paix consciente. On dirait que, dans le registre qui lui est propre, l’abandon de l’esprit à la vérité d’une situation coïncide avec l’abandon de la conscience à l’être, ou dans un autre registre encore, avec l’abandon de la vie au flot de la Nature.
Sensation
Par les soirs bleus d’été, j’irai dans les sentiers,
Picoté par les blés, fouler l’herbe menue :
Rêveur, j’en sentirai la fraîcheur à mes pieds.
Je laisserai le vent baigner ma tête nueJe ne parlerai pas, je ne penserai rien :
Mais l’amour infini me montera dans l’âme,
Et j’irai loin, bien loin, comme un bohémien,
Par la Nature, – heureux comme avec une femme.
Arthur Rimbaud
J’ai vu écrit en haut de la note No Comment. Deux choses : cette réalité ne sera plus puisque j’en laisse un.
Quelle beauté cette pensée et ce poème intitulé Sensation, je me tiens coi, alors c’était donc vrai cette réalité du No Comment!!
“Mon dernier mot ne peut être ici que ceci :
Rimbaud fut un poète mort jeune mais vierge de toute platitude ou décadence – comme il fut un homme mort jeune aussi mais dans son voeu bien formulé d’indépendance et de haut dédain de n’importe quelle adhésion à ce qu’il ne lui plaisait pas de faire ni d’être….
(Verlaine,à propos de Rimbaud)